Une description de Sainte-Marguerite en 1869
En 1869, une délégation menée par l’honorable Louis Archambault, ministre des travaux publics et de l’agriculture du Québec fait un voyage d’exploration dans le nord des régions de Lanaudière et des Laurentides, afin d’y constater l’état de la colonisation. Sur le chemin du retour, ils s’arrêtent à Sainte-Marguerite où ils sont accueillis par Édouard Masson et son épouse.
Joseph Royal, journaliste au Nouveau monde de Montréal, fait partie du groupe afin d’en rédiger un compte-rendu qu’il publie la même année sous la forme d’un livre. Il y fait une intéressante description du village de Sainte-Marguerite qui n’a, à ce moment, qu’à peine cinq années d’existence. Ce sont ces quelques pages qui sont ici reproduites. Pour la compréhension du texte, nous avons ajouté quelques explications entre crochets.
« […] Bientôt, nous laissons le canton de Doncaster pour entrer dans celui de Wexford où nous traversons une chaîne non interrompue d’établissements. Nous descendons, nous tournons, puis nous débouchons dans une magnifique route [l’actuel chemin de Sainte-Lucie] au bout de laquelle apparaît le pittoresque village Ste. Marguerite du Lac Masson. Nous passons modestement, moi du moins, sous un superbe arc de triomphe érigé à l’entrée du village, et j’y lis ces deux inscriptions: BIENVENUS! LES COLONS RECONNAISSANTS.
« Tout le village était en fête, et j’eus à peine le temps de jeter un coup d’oeil sur le ravissant panorama qui nous entourait que l’honorable M. Édouard Masson était au milieu de nous, nous accueillant avec empressement, et nous forçant d’accepter la gracieuse et franche hospitalité que Madame Masson nous fessait [sic] offrir ».
[…]
« Le village de Ste. Marguerite est coquettement assis au fond de la vallée où la grande route [le chemin Masson] vient croiser la décharge du lac Masson. Avec ses quarante-trois maisons, son beau moulin, son pont, sa chapelle et ce joli manoir qui domine les grandes pièces d’eau que la nature y a creusés d’une main capricieuse, c’est le plus charmant endroit qu’on puisse rêver. Il n’y a qu’un homme de goût pour avoir su si bien choisir et coordonner. Ce fut au mois d’octobre 1863 que M. Masson vint s’arrêter au milieu de cette nature si belle des Laurentides pour y marquer le premier arbre à abattre et diriger vigoureusement la colonisation de tout Wexford. Placé au centre du canton sinon sur les meilleures terres, ce premier groupe attira bientôt à lui les colons du dehors qui s’établirent de proche en proche encouragés par l’exemple et l’aide efficace de M. Masson. La population s’élevait d’après la dernière liste à cent cinq électeurs; elle est aujourd’hui de cent cinquante, et tient la clé des futures élections du comté de Terrebonne. Un curé réside depuis trois ans à Ste. Marguerite, et pour savoir ce que peut le prêtre intelligent et zélé dans l’oeuvre de la colonisation, il faut entendre l’éloge de Messire Casaubon fait par l’honorable M. Masson. L’union, la paix et la concorde règnent au sein de la colonie, qui prospère et s’accroît tous les jours de nouveaux venus. M. le Curé nous a dit qu’il voulait faire tirer l’hiver prochain tout le bois nécessaire à une église de plus de cent pieds de long qui remplacera la chapelle devenue trop petite ».
De fait, la colonisation se porte rapidement et du côté de Ste. Adèle et sur le chemin de la Mantawa [l’actuel chemin de Sainte-Lucie] où les terres sont de la plus riche qualité.
Le village compte deux ou trois magasins, un boulanger, un menuisier, un charpentier, un forgeron outre un hôtel assez décent. L’activité y deviendra encore plus grande quand le chemin des Lafons sera ouvert aux gens de Chertsey, ce qui doit être fait à l’heure qu’il est.
Le moulin, très solidement bâti, est à scie et à farine; il comprend deux ou trois moulanges.
C’est là que M. Masson tient son bureau d’affaires, et que le lendemain de notre arrivée, le Maire de la paroisse accompagné de tous les chefs de famille, vint complimenter l’honorable M. Archambault sur son heureux retour d’un voyage pénible fait exclusivement dans les intérêts les plus chers du pays.
L’adresse était signée de plus de cent vingt noms dont voici les principaux: Messire Casaubon, Curé, l’honorable M. Édouard Masson, MM. C.C. Lajeunesse, Maire, D. Chartier, G. Leroux, Hyac. Charlebois, Louis Lacas, B. Deslauriers, Isidore Legault, Jacques Léonard, G. Legault, E. Lajeunesse, G. Nadon, F. Lacasse, L. Forget, X. Monet, D. Chartier, M. Gauthier, H. Marier, J.-B. Rouleau, H. Laviolette, etc., etc.
M. le Ministre fut très heureux dans la réponse qu’il fit à l’adresse de ces braves colons, et leur donna des conseils et des éloges les plus propres à les encourager dans leur vie nouvelle.
M. E. Masson prit ensuite la parole et remercia M. Archambault de sa visite et des actes nombreux par lesquels le gouvernement prouvait au pays sa volonté sincère de travailler à la question si vitale de la colonisation, et en particulier du zèle infatigable qu’y mettait l’honorable Ministre des Travaux Publics.
Messire Provost [l’abbé Théophile-Stanislas Provost, curé de Mascouche] dit aussi quelques mots dans le même sens, après quoi la conversation devint générale.
« Comme je n’avais rien à dire, je remarquai à mon aise le respect et l’attachement que tout ce monde portait à notre hôte, M. Masson. Ils le regardaient comme leur chef et leur maître; s’il parlait, aussitôt tous se taisaient, et personne n’ouvrait un avis différent. J’en demandai la raison à un colon qui était venu s’asseoir près de moi […] »
« M. Masson, répondit-il tout abasourdi de la question, mais c’est tout clair qu’on l’aime et qu’on le respecte: car il n’y a pas un seul d’entre nous qui ne lui doive des bienfaits. C’est lui qu’est le maître; il a tout commencé ce que vous avez vu, et même aujourd’hui que deviendrait-on sans lui? Et sa bonne dame, donc, si charitable, si…»
Et voilà mon homme à entonner la louange de Madame Masson: c’était une conversation privée, le lecteur trouvera bon que je m’arrête ici.
Heureux, me disais-je en revenant au Castel, heureux les hommes qui, comme notre hôte, ont les capitaux pour réaliser les grandes oeuvres publiques dont leur âme généreuse leur fournit le dessein! Faire usage d’une belle fortune pour attacher son nom à de tels travaux et en léguer la gloire durable à ses enfants, n’est-ce pas le plus noble et la meilleure des ambitions?
Pendant notre visite à la chapelle, à M. le Curé et au village, la pluie s’était mise à tomber. […]. Nous nous hâtons de rentrer pour nous préparer à partir. Quoiqu’il en coutât, et surtout à moi, de quitter un toit aussi charmant, notre parti est pris, nous disons adieux à nos hôtes, et surtout au fils aîné de la maison [Joseph-Édouard Masson, né en 1851], jeune homme plein de coeur et d’intelligence qui venait d’annoncer à son père et à sa mère sa résolution d’aller à Rome offrir au Saint Père son sang et sa vie pour sa cause [comme zouave pontifical]. Plusieurs d’entre nous ne devaient plus le revoir avant son départ pour la sainte et illustre croisade.
[…]
M. Masson et son fils nous accompagnèrent une certaine distance, puis on échangea de nouveaux adieux, et un pli de terrain les déroba bientôt à nos yeux.
Nous descendions droit sur Terrebonne [par l’actuel chemin des Hauteurs] par une pluie qui tombait menue et avec des chevaux qui ne se souciaient guère ni du temps ni des voyageurs qu’ils traînaient. Ils se hâtaient lentement.
J’abrège le récit de cette immense glissade de plus de cinquante milles que nous fîmes sur cette pente, détrempée par l’eau du ciel, qui commença au faîte de la montagne du quatrième rang de Wexford et se termina à la porte du presbytère de St. Henri de Mascouche. Qu’il me suffise de dire que nous arrivâmes parfaitement imbibés, et en plein coeur d’une nuit noire, à une heure et demie du matin.
M’est avis qu’il eut mieux valu pour nous rester un jour de plus au foyer si hospitalier du Seigneur de Ste. Marguerite. […] »
Source: J.-R. [Joseph Royal], La vallée de la Mantawa, récit de voyage, Montréal, Le Nouveau Monde, 1869, pages 161 à 169. [Le volume complet peut-être téléchargé gratuitement du site de la Bibliothèque nationale du Québec (page Collection numérique, section Livres et partitions musicales)].
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